L'univers des écrits de et sur Albert Londres






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Le chemin de Buenos-Aires


C'est toute la filière de la traite des blanches en Amérique du Sud qu'Albert Londres a voulu décrire, en s'attachant à chacun des pas des proxénètes qui s'établissent à Buenos-Aires et autres lieux en Argentine. Il commence par faire le voyage et fréquenter un couple pendant le long voyage en bateau, le recruteur et son "amoureuse". Il s'introduit avec un culot monstre dans le "milieu" en partageant la vie de ces aventuriers de la prostitution, leurs aventures, leurs émotions.

Le ton et les mots employés par Albert Londres, ne laissent pas d'interpeller. Il banalise les actions de ces hommes et ces femmes. Les souteneurs (il n'empoie jamais ce mot, ni celui de proxénètes) sont présentés comme des hommes d'affaires aux méthodes de gestion rigoureuses. Les femmes sont venues là pour sortir leur "vieile grand-mère" et autres parents de la misère à laquelle ils sont condamnés en France. C'est du second degré, mais le cynisme affecté par Albert Londres met mal à l'aise par ce qu'il montre comme complaisance.


A la recherche des hommes du milieu
Eh bien ! c'est cela Buenos-Aires. C'est une capitale. Il y a là deux millions d'habitants. Ils s'y trouvent bien. Tant mieux ! je ne dissimulerai rien. Pas même la rue de vingt-deux kilomètres. Elle y est. Qu'elle y reste. Il faut être ivre pour concevoir vingt-deux kilomètres en ligne droite. Elle tient dans le coeur des Argentins la place que le soleil tient dans le ciel ! c'est la lumière. Ce qu'il y a de plus beau, c'est l'effort, ce qu'il y a d'injuste c'est le résultat. Cependant ce n'est pas si mal. Ses maisons sont plus jolies qu'à Paris.
Il faudrait être un individu infiniment remarquable pour circuler sans plan à Buenos-Aires. C'est un nid d'abeilles. C'est fait comme un radiateur d'automobile. Les alvéoles s'appellent cuadres. Cuadre veut dire carré. Ce sont des carrés parfaits de cent mètres de côté. Parcourir Buenos-Aires n'est pas marcher, c'est jouer aux dames avec ses pieds.

Librairie Française
Je devais d'abord me rendre 445 Cerrito. Les livres que l'on y vend sont tout ce qu'il y a de plus catholique. Je viens pour une chose spéciale. Votre librairie est le rendez-vous des français trafiquants de femmes... Vous êtes leur poste restante...Patron, puisque vous vendez des livres, peut-être me connaissez-vous? C'est moi qui fit les histoires sur la Guyane et Biribi. Ils ont tous acheté ça. "Ecrivez-leur. Je ferai parvenir la lettre"...

Vacabana dit le Maure
J'ai entendu parler de vous au bagne comme d'un chef, d'un homme intelligent. Vous étiez déjà "en évasion".... Je viens, cette fois, étudier la traite des Blanches. Je veux voir clair dans ces histoires de trafiquants de femmes. C'est tout. Je vous demande un rendez-vous"... Je suis entièrement à vous. Voulez-vous monter avec moi. Le chauffeur, en uniforme, tenait ouverte la portière. Et nous montâmes dans la Packard.

Rencontre avec des compatriotes
Décidément Buenos-Aires a juste autant de fantaisie qu'une géométrie : parrallèles, perpendiculaires, digonales, carrés. les habitants eux-mêmes n'ont pas le droit d'être ronds dans les rues. Dans Esmeralda il est un café comme les autres. Le Maure, pourtant, me conduisit là. Ils y étaient. Impression imprévue : ici, ils ne choquaient pas. Ils venaient de Paris ou de Marseille. Dans cette "église" là, il n'y a que deux évêchés. C'est la seule case de la société qui ait eu confiance dans l'avenir de la fainéantise. Ces novateurs se sont dit, avec l'Ecclésiaste, que le travail étant la punition de l'homme, ils ne travailleraient pas.

Le récit de Victor Victorieux
"L'Amérique du Sud devenait à la mode de plus en plus. Des collègues "en remonte" nous en disaient les richesses. La môme avait compris. Elle "encaissait" le coup. Elle se plaisait avec moi, heureuse de me voir heureux. Elle n'aurait plus voulu aure chose... Travaille fort, lui disais-je. Je fais de grands projets pour toi et pour moi. Il nous faut de l'argent. Quand tu seras bien capable tu deviendras ma femme. En attendant je vais te doubler" (prendre une deuxième femme).

Franchuchas
Un peuple au maillot, traits encore vagues, oriental quand il est assis devant un café, passionné dès qu'il entre en affaires, prévenant et poli comme les membres de deux équipes de rugby quand elles sont en action pour un match international! Buenos-Aires! Un port à la place du coeur!
Aux campos, partout où les hommes seuls s'efforçaient à prendre racine dans ce sol neuf, on voyait monter, procession amère, des jeunes femmes allant se vendre. Ces femmes venaient de France. Franchuchas! Le gros de l'armée était pour Buenos-Aires.
Franchuchas! Filles de France, vous n'êtes que ce que vous êtes. On ne peut vous donner en exemple à l'humanité. Il est juste, cependant, de prendre la parole, une fois, en votre nom...Pour les Argentins, l'affaire est différente. Tout en vous payant, ils vous doivent encore. Vous avez été les éducatrices d'élèves plutôt frustes. Et cela prouve que vous ne manquez pas de courage!

La principauté des Affranchis
Moi je suis un homme du milieu, et j'ai déjà renseigné en cette qualité. Il n'y a que deux sortes de femmes dans notre monde : les malheureuses et les vicieuses..Quant à moi, je vais concourir pour le prix de mathématiques : quatre vingts pour cent de malheureuses, vingt pour cent de vicieuses. Le milieu est une société d'hommes qui exploitent la femme, simplement, comme d'autres exploitent des forêts, des brevets, des mines ou des sources d'eau minérale.
Ces hommes nouveaux ont renversé nos moeurs, nos coutumes, nos lois et se sont érigés en principauté indépendante : la principauté des Affranchis. Ils ont fondé, eux aussi, une ligue des Droits de l'Homme, mais sur la femme..Possédant le capital indispensable au départ d'une affaire, ils se lancent sur nos Gallines.

Moune
Une femme passa. C'était Moune. Elle avait l'innocence dans les yeux parce qu'une femme qui a les yeux innocents les garde toujours, même quand elle présente ses amants à son mari. Que répondrais-tu aux gens qui te diraient : il fallait travailler? "je n'étais pas un homme. Les hommes qui étaient comme j'étais peuvent aller au port. On n'y prend pas les femmes. L'équivalent, pour la femme, c'est le trottoir."

Casa Francesa
Bonaparte formait parfois ses troupes en carré. Buenos-Aires est disposée comme l'étaient les armées du défunt général. La ville avance, carré par carré, pour livrer bataille à la pampa. Sur les quatre faces de ses carrés, elle ouvre le feu. Ce n'est pas le même. Le courage est une vertu. J'ai toutes les vertus, alors j'allais par la grande capitale.
J'allais du numéro deux cents au numéro deux mille. Je levais timidement les yeux : un rideau rose! Je les baissais. je parcourais cent mètres : un rideau crème. J'allais. J'allais. Ce sont les Casa Francesa. On va nous distribuer des numéros. Cinq assis sur un banc, trois sur des chaises, quatre debout. C'est comme à la sacristie le jour d'un grand mariage. Elle en a des amis, la mariée !

Le métier de maquereau
Le métier de maquereau, monsieur Albert, n'est pas un métier de père de famille ! Il faut être administrateur, éducateur, consolateur, hygiéniste. Du sang-froid, de la psychologie, du coup d'oeil, de la douceur, de la fermeté, de l'abnégation!. Nourrir notre famille et la famille de notre femme. Aider toutes les misères selon nos moyens. Faire le bien à bon escient et la charité au hasard...Nous, nous ne nous vantons pas de notre profession, mais nous en avons le respect. L'homme du milieu, le vrai et non pas le vrai de vrai, maintient la femme en dehors de tous les vices. Sans nous, que font les femmes : elles fument, elles boivent, elles dansent, elles prisent le coco, elles s'offrent des béguins, elles découchent, elles se marient entre elles !
Depuis qu'elles ont un homme, elles envoient régulièrement à la vieille grand-mère, au père, aux petites soeurs. Plutôt, c'est nous qui envoyions pour elles. En somme, leur dis-je, vous êtes les jockeys de la femme ! L'expresssion leur parut heureuse.

Polaks
Polaks! Je revois les villages juifs de la Pologne, et dans le même temps, je frôle du coude, le long du Rio de la Plata, des Polaks et des Polaks. C'est de là-bas que ces hommes amènent ces filles. Ces lévites noirs, dont la crasse seule assurait les reflets blanchâtres, ces cheveux jamais lavés, tire-bouchonnant sur la joue gauche, ces casquettes plates, rondes, les achevant comme un couvercle...J'eus un frisson...ils étaient plus saisissants que les Juifs de Jérusalem, et ce que je dis là est une sérieuse comparaison !
Les Franchuchas forment l'aristocratie : 5 pesos. Les Polaks le tiers-état : 2 pesos. Organisés à l'allemande, c'est-à-dire avec méthode, ils abattent un ouvrage formidable. Il n'est pas un Polak de Buenos-Aires qui n'ait cinq ou six femmes. Sept. Huit ! A Varsovie, à Cracovie, à Lvoff... de vieilles femmes qu'ils payent toute l'année, n'ont d'autre métier que de leur signaler la bonne marchandise. Ils les achètent aux parents, par contrat.

La Boca
La Boca : la bouche de Buenos-Aires. Il y a le bout du monde : la Boca est le bout de la mer. La Boca semble une conscience qui se serait chargée de tous les péchés mortels et qui, affalée là, vivrait au milieu de la malédiction. De même que les orangers en fleurs embaument la route jusqu'à deux ou trois kilomètres du verger, les femmes qui se prostituent là chargent l'atmosphère de compassion. C'est l'un des endroits du monde où, dans ce genre, l'on travaille régulièrement, mathématiquement, en série.
Les bateaux sont à l'ancre...Tous les traine-patins de la mer, tous les déshérités de la navigation, tous les "clochards" des océans! Tous les fiévreux du grand large. C'est le royaume des Polaks. On travaille à la Boca. Cela n'est rien. On mange, on boit : cela n'est rien. Rien n'est rien, ni cela, ni ceci. Mais la Polak ne coûte que deux pesos, et cela c'est tout!
Les servantes ne vous apportent jamais le verre tout seul. En le posant sur la table, elles assoient leur misère sur vos genoux.

Deux faux poids
Evidemment, elles sont là parce qu'elles le veulent. Mais je suis obstiné et je vous pose encore la question. Savent-elles exactement ce qu'elles viennent faire? "Exactement, nous ne le savons pas nous-mêmes. De plus, des filles jeunes comme ça, avec si peu d'instruction, n'ont pas beaucoup d'idées. En tout cas, ce qu'elles n'ignorent pas, c'est qu'elles viennent gagner de l'argent avec leur jeunesse. Le reste, c'est des détails. Nous sommes là pour les expliquer.
On croit que notre rôle est de séduire. C'est de faire comprendre !"

N'y en aurait-il qu'une
La vérité ici n'est pas une vérité d'ensemble. Il y a les femmes qui ne demandent qu'à venir. Il y a les femmes qui viennent parce qu'un homme a su le leur demander. Il y a les femmes qui viennent avec la seule idée de manger tous les jours et de faire manger les leurs, quitte à faire n'importe quoi. celles-là savent. Il y a les hésitantes, celles qui ne veulent pas "y aller toutes seules" mais qui restent quand même sur le bord... Il y a celles qui ne savent pas...
Elle est sur le chemin de Buenos-Aires. A bord, elle confie ses espérances aux passagers : "je gagnerai quatre fois plus comme caissière en Argentine"...les passagers, vieux routiers de la ligne, sourient...des passagers la conduisirent chez le commandant. Le Consulat rapatria la brebis avec toute sa laine.

Monsieur le Pasteur
C'est le pasteur ! je crus à un surnom. Originaire du Kurdistan, il avait fait ses études à Urmia sur le lac de Van. Il était maintenant syrien, protégé français. C'était un homme du milieu. Le pasteur est très vieux, il le remplace. Où prêche-t-il? Dans un temple, pardi...De méthodistes! Il y avait là des Américains du Nord, droits et secs. Leurs femmes, froides comme la rencontre des deux pôles. Elles devaient être un peu aigres, aussi, mais je ne les ai pas goûtées !
Les Américains du Nord et, je suppose, les Ecossais, et le vénéré pasteur dont la présence authentiquait (sic) le remplaçant, tous, en ce matin, élevaient leur âme sur la parole du vendeur de femmes. Alors je compris que l'intelligence de Dieu était infinie. Il fallait être Lui pour permettre cela.

Le Créolo
Le Créolo! C'est le caftane argentin. On l'appelle aussi Canfiflero. Canfiflero : homme qui n'exploite qu'une femme. Il craint la fatigue. Ah! le bel enfant! Il n'est toujors posé que légèrement sur les chaises, pour ne pas froisser son pantalon. Le canfiflero date pour le moins de l'âge du plésiosaure. De tous temps et sous tous les cieux, on vit de jeunes garçons fumer leurs premières cigarettes aux frais de dames énamourées. Ainsi fait le créolo.

La responsabilité est sur nous
J'ai voulu descendre dans les fosses où la société se débarrasse de ce qui la menace ou de ce qu'elle ne peut nourrir. Regarder ce que personne ne veut plus regarder. Juger la chose jugée.
A la base de la prostitution de la femme, il y a la faim. S'il n'y avait pas la faim, il y aurait encore des femmes à vendre. Il y aura toujours des femmes à vendre tant qu'il y aura des hommes pour les acheter. Et l'on verra la fin du monde avant de voir la fin du demi-monde.





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