L'univers des écrits de et sur Albert Londres






pour chaque article : illustrations, aphorismes "londresiens" et accès au Fac similé intégral du journal en pdf.


livre 10 - 1927 Portugal et Argentine

La révolution annuelle du Portugal



Très bref passage au Portugal en 1927 pour rendre compte d'une des révolutions qui agitaient régulièrement ce pays, celle qui l'embrasa le 7 février. Trois articles, un à Lisbonne, un à Porto, le troisième récapitule ce que sont ces mouvements révolutionnaires du Portugal.

Les évènements des trois journées révolutionnaires sont décrits de façon très londresienne. Un certain nombre d'actes et de faits le sont avec précision, mais en usant de mots et de comparatifs très distanciés, sortant du contexte dramatique. On n'est pas dans une révolution d'opérette, mais presque. On comprend bien à la lecture que les habitants, qui en sont à leur seizième révolution depuis seize ans, voient eux-mêmes les choses avec un certain détachement.


Le Petit Parisien 14 février - fac-similé Gallica intégral du journal

Les journées révolutionnaires de Lisbonne et Porto
Une journée et une nuit de combats sauvages dans les rues de la capitale portugaise


DDDDDD Lisbonne 12 février D'abord Lisbonne. La révolution y est entrée le 7 février à onze heures quarante. Les marins, ayant quitté leur caserne d'Alcantara, descendirent en ville. Ils auraient pu aussi bien aller se promener. Justement la journée était belle. Ils allaient à l'arsenal...Quand les marins, les civils eurent des fusils, des cartouches, des mitrailleuses, ils sortirent...Mitrailleuses et fusils arrosèrent les révoltés...Les habitants n'eurent même pas le temps de fermer leurs volets...C'est un beau siège comme dans les gravures d'autrefois. Le Rato est pris, perdu, repris, reperdu.
Et c'est la nuit. Combats. Tirs de mitrailleuses. Canon. Fusillade intense. Les munitions pour rien, les camions montent toujours de l'arsenal...Les réguliers donnent l'assaut à l'arsenal...des avions bombardent sans pitié, quitte à tout démoir le seul arsenal de la République...Le comité révolutionnaire, qui avait dû abandonner le Bristol, s'était réfugié dans une laiterie, prouvant ainsi qu'il n'était pas alcoolique...Les officiers révoltés devenaient les officiers fidèles...Maintenant faisons le compte : deux cent trente morts, six cents blessés. Mais il y a eu tant de balles perdues, disent les habitants, sans doute pour s'excuser du peu.

Le Petit Parisien 15 février - fac-similé Gallica intégral du journal

Les journées révolutionnaires de Lisbonne et de Porto
Là, bombardement en règle d'une rive du Douro à l'autre. Puis charge finale de cavalerie. - Mais déjà la partie était perdue pour les insurgés qui, faute de munitions, avaient demandé à se rendre


DDDDDDDD
Porto 14 février Et maintenant Porto. Cela ne se passa pas du tout comme à Lisbonne. Porto est une cité merveilleuse, qui se dresse au-dessus du Douro exactement comme un cheval qui se cabre. Sur le Douro, deux ponts...en somme deux collines qui se contemplent à travers le fleuve...Des régiments arrivent et occupent les deux ponts. Les deux collines ne se parlent plus que par téléphone ou par la voix des canons et cela va durer quatre jours. Et seulement cela.
Tragique ville tout de même! Ces deux morts-là que je vois enterrer sont tombés au seuil de la boulangerie. Lopès Teixera, directeur du Journal de Porto, a été tué à sa fenêtre. Les uns voulaient manger, l'autre voulait voir, et voir, c'est ausi le pain du journaliste...Et le gouvernement monta son camp dans la ville, et les civils qui s'étaient armés se dispersèrent dans la campagne. Les vivants purent enfin dormir et les morts descendre en terre.









Le Petit Parisien 20 février - fac-similé Gallica intégral du journal

Le Portugal, terre bénite des révolutions :
seize en seize ans


Il ne faut pas exagérer, c'est-à-dire prétendre que le Portugal est toujors en révolution. Depuis seize ans, il n'a fait explosion que seize fois.

Quelles sont les causes de ces orages? Elles sont deux. L'une est politique, elle s'appelle le parti démocratique. L'autre est militaire, c'est l'armée. Tantôt la politique chasse l'armée, tantôt l'armée chasse la politique. Elles s'abîment mais elles ne se détruisent pas.














Une croisière "touristique" : de France en Argentine


Le voyage qui conduisit AL en Argentine (théâtre de son livre sur la traite des blanches) est décrit par celui-ci en suivant deux points de vue. Celui des émigrants qui emplissent le bateau pour fuir leur vie misérable en Europe et faire fortune en Amérique du Sud. Puis celui du "touriste" qui découvre les ports de Dakar qu'il trouve mélancolique, Pernambouc, Bahia, Rio et Buenos-Aires qu'il trouve exotiques et à la chaleur insupportable.

AL n'est allé qu'en Europe et Extrême-Orient. Il n'est pas mûr pour la précarité africaine, pour la première fois son discours n'est pas politique. Il porte des réflexions sur l'invasion des Amériques par les Européens, puis philosophe sur l'absence de grandeur maritime de la France. Il s'exclame enfin sur ces contrées tropicales et leur grande chaleur.


Le Petit Parisien 28 avril -
fac-similé Gallica intégral du journal

Visions rapides entre Marseille et Buenos-Aires
La grande peuplade des émigrants en marche

Je vais vous raconter un voyage. L'autre jour, j'ai pris le bateau et je suis parti pour l'Amérique du Sud. Pensais-je ainsi me faire oublier du percepteur, qui ne me rencontrerait plus dans mon quartier? Un peu...Et je vis sur mon bateau une chose révélatrice. ..J'avais devant moi l'Invasion. L'invasion moderne. la grande peuplade des émigrants...De bateaux comme celui-là. Ils sont cinq cent soixante-dix-sept individus dessus. Mais.. Mais, à cette minute, trente bateaux qui ont quitté le port marchent sur Rio et Buenos-Aires.
C'est l'une des plus garndes invasions de l'histoire. Voici la horde. Cinq cent soixante-dix-sept. Ce sont des gens qui doivent aller à Babel construire la tour...Faidherbe! que c'est loin! Ce devait être beau, ici, du temps de Faidherbe! C'est écrit partout, c'est la mélancolie. Des Russes, des Polonais, des Bessarabiens, des Allemands, des Espagnols, des Portugais, des Juifs.





Le Petit Parisien 29 avril -
fac-similé Gallica intégral du journal




"Je ne veux pas mourir, car avant il faut que je vois Dakar..."


C'est une émouvante découverte que de découvrir Dakar. Capitale de l'Afrique occidentale française.. Dakar n'est pas ce que devrait être Dakar. A la place, il y a une espèce de bazar touchant, solitaire et d'une nostalgie à longue traîne.

Il y a les malheureux qui n'ont pas de phonographe. Ils n'ont pas de femme non plus, mais la femme passe après...Ils mangent tous les soirs entre l'Europe et l'Amérique du Sud. Ils regardent ceux qui vont en France, ils regardent ceux qui vont à Buenos-Aires, et, nostalgiques, ils se demandent pourquoi ils restent là.





Le Petit Parisien 1 mai -
fac-similé Gallica intégral du journal


Oh! les beaux bateaux qu'on découvre sur la vaste étendue des mers !
Mais où donc sont les nôtres ?


Le Petit Parisien 2 mai - fac-similé Gallica intégral du journal

Qu'il fait chaud à Pernambouc!
Mais doit-on le dire ?

Ainsi, Pernambouc. je ne sais pas si vous êtes de mon avis, mais quel nom! Pour un port, c'est merveilleux. Pernambouc! C'est aussi bien que Singapour...C'est une ville qui n'attirera aucun reproche au Brésil. Elle est tout à fait européenne. Il n'y a que le solei qui n'a pas voulu entendre raison. Il a tenu à rester équatorial, cet animal! On y voit des noirs, certainement. En tous cas, ils sont habillés comme des blancs. Ce n'est pas eux qui sortiraient sans cravate!
J'allais donc dans Pernambouc. J'étais heureux et presque fier de fouler aux pieds un si beau nom...On peut rêver à Pernambouc, on ne peut s'y promener. Pernambouc n'existe pas. Ce n'est qu'un nom. Un nom pour attraper les fous de mon espèce. La ville qu'il désigne ne veut même pas de lui. Elle s'appelle Recife...

Le Petit Parisien 4 mai -
fac-similé Gallica intégral du journal

La curieuse ville de Bahia

Pernambouc s'appelle Recife. Et Bahia ne s'appelle pas Bahia. Son nom est San Salvador. Bahia, c'est comme Bar-le-Duc. Il y a deux villes : la ville basse et la ville haute. Faut-il le dire? Faut-il le cacher? Allons! du courage! Bahia est une ville de nègres. Pardon! de noirs. De très beaux noirs, cela est certain, habillés, gantés, cirés. Elégants et civilisés. Adorables, méritants. Intelligents, mais enfin pas du tout blancs.
A Bahia il y a trois cent soixante-six églises...Et les cloches? Chaque église a deux cloches. Entendez-vous le concert, les jours de fête? Il y a les très arrière-petits-fils de ces diables et de ces diablesses....qui étaient esclaves et ce trafic s'appelait (ou s'appela plus tard) la traite des noirs... Les blancs y sont venus, les noirs y sont restés. Et c'est ce qui fait qu'à Bahia on peut voir dans une auto, un monsieur noir conduit par un chauffeur blanc.

Le Petit Parisien 5 mai -
fac-similé Gallica intégral du journal

Rio de Janeiro : un enchantement

C'est une beauté. C'est la ville qui posssède le plus joli visage. Elle est grande, élancée, éblouissante, et sa végétation lui pend jusqu'aux talons. La dominant de très haut, un rocher apocalyptique, le Corcovado, met à son front comme une crête altière et fantasque. Un autre qui, malheureusement a été baptisé dans une épicerie, et qui s'appelle le Pain de Sucre...Ce Pain de Sucre est dans la ville comme le nez dans la figure de Cyrano.
Rio de janeiro est jeune. Il ne s'agit pas de son âge, mais de son air. C'est une capitale qui rit...Rio n'est ni un poteau de départ, ni un poteau d'arrivée. C'est le grand relais de la route. On touche et on descend plus Sud, on touche et l'on remonte plus Nord. Construit par les Français, équipé par les Allemands, c'est pourtant un des plus beaux ports du monde...Ici, quand la nuit tombe, la lumière éclate...Les Brésiliens ont tué la nuit.

Le Petit Parisien 6 mai -
fac-similé Gallica intégral du journal



Buenos-Aires

Et quand on a passé l'Equateur de 36 degrés, on arrive à Buenos-Aires. L'Argention possède, de la façon la moins discutable, l'une des plus grandes vertus du patriotisme : l'orgueil de son pays...Jusqu'ici, chacun se demandait où avait pu naître le cubisme. A Buenos-Aires, pardi! Il n'y a que des cubes. De grands cubes de cent mètres de côté. Buenos-Aires est un damier. Chaque fois que je sortais dans Buenos-Aires, je me sentais métamorphosé en pion. Et comme le pion était parfois fatigué, il cherchait à arriver à dame. Il n'y parvenait jamais.
A Buenos-Aires, on est riche, on ne vit que d'exportation et d'importation, on s'habille avec distinction..Les carrés des compagnies de navigation sont bien ce qu'il y a de plus beau à Buenos-Aires...Ici la nouveauté est le paradis de l'homme. Les magasins habillent et déshabillent avec beaucoup plus de soin les hommes que les femmes. Ce sont les petits côtés.

Le Petit Parisien 7 mai - fac-similé Gallica intégral du journal
La conclusion d'un beau voyage

Nous allons cesser, aujourd'hui, de faire le touriste. Ce qui nous désoriente le plus, nous gens un peu inquiets, c'est la confiance totale que chaque Argentin met en lui-même...La principale préoccupation de l'Argentin est évidemment de faire de l'argent. L'Occident vivait sur cette formule : "je pense, donc je suis" Ici, pour "être", il ne suffit plus de penser, il faut avant tout compter. L'argent, c'est la preuve de la vie.
On peut encore dire mieux. L'argent, dans ce pays neuf, est le lien qui aida tous ces hommes, accourus de vingt autres pays, à se reconnaître citoyens d'une nouvelle patrie. En débarquant, ils n'étaient pas Argentins. Ils le devinrent, par progression, au fur et à mesure de la réussite.




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