L'univers des écrits de et sur Albert Londres






pour chaque article : illustrations, aphorismes "londresiens" et accès au Fac similé intégral du journal en pdf.



Dante n'avait rien vu
Biribi, les bagnes militaires - 1924


C'est en quelque sorte le complément du "bagne " de Cayenne de 1923 qui avait eu un grand retentissement et conduisit à sa suppression. C'est donc logiquement qu'Albert Londres a voulu ajouter au volet civil celui des détentions en bagnes militaires, localisés en Afrique du Nord. Le reportage parut dans le Petit Parisien en 18 articles sous le nom de "Biribi". L'année suivante, la publication en librairie se fera sous le nom de "Dante n'avait rien vu". Comme pour "le Bagne" la suite politique sera une commision d'enquête puis la décision de supprimer les bagnes militaires.

Auprès de celles de cet "enfer" les descriptions faites du bagne de Cayenne paraissent presque bon enfant. Albert Londres ne fait pas d'ironie, pas de bons mots. C'est une description clinique des sévices que font subir aux malheureux détenus les sergents dont la sauvagerie n'a pas de limites.


Le Petit Parisien 19 avril - fac-similé Gallica intégral du journal

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Biribi n'est pas mort
une grande partie de l'article a été supprimée dans l'édition en livre





Le Petit Parisien 20 avril - fac-similé Gallica intégral du journal



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II - Sur la route


Le Petit Parisien 21 avril - fac-similé Gallica intégral du journal

III - Combes et Podevin

Alors que le monstre Biribi me paraissait encore indéchiffrable, Combes et Podevin sortirent, au matin, de la prison militaire de Casablanca. Le conseil s'est réuni. Votre nom? demanda le colonel à Podevin. Podevin fait un pas en avant et crache à la figure du colonel. On passe outre. Vint le tour de Combes. Votre nom? Bande de salopards. J'en ai marre. Voilà mon nom. Et il crache...

Pourquoi? nous sommes trop malheureux à Dar-Bel-Hamrit, nous ne voulons pas y retourner. J'ai engagé mes camarades à lacérer leurs effets pour échapper aux travaux publics par une peine plus forte. Douze balles dans la peau, crie Combes, toujours debout. Je préfère la mort à Dar-Bel-hamit. Si on ne me fusille pas, je me pendrai dans ma cellule.

A quelque temps de là, un soir, la grâce de Combes et la grâce de Podevin arrivèrent. La mort était remplacée par vingt ans de prison. Oui, on nous a donné la nouvelle hier au soir. Ah! on a eu de la joie. On n'en a pas mangé la soupe. Vingt ans de prison, fis-je, ce n'est tout de même pas un brillant avenir. Nous préférons vingt ans de tôle que deux ans de Dar-Bel-Hamit. Nous apprendrons un métier, disaient-ils, nous nous tiendrons peinards. On sera heureux. On eut dit qu'ils allaient partir pour leur voyage de noce !

Le Petit Parisien 22 avril - fac-similé Gallica intégral du journal






IV - Dar-Bel-Hamrit


Dar-Bel-Hamit est si peu sur la grand-route que l'on vient de lui retirer le train. Quand, cet après-midi, à quatre heures, nous arrivâmes, Dar-Bel-Hamit était disparu. Donne toujours un coup de trompe, dis-je au compagnon chauffeur...

C'était la bonne idée. Deux gendarmes surgirent. Si, comme on le prétend, les gens sont braves, c'étaient deux braves gendarmes, l'un étant gros pour deux. Celui-ci s'avançait, telles ces oies des réclames pour pâtés de foie, le ventre raclant la terre...

Il ne restait qu'un Grec dans l'une des cabanes de boue. Les Grecs sont les Chinis de l'Occident. Partout où il y a un paquet de tabac à vendre, il y a un Grec.

Le pénitencier. Cent quatre vingt hommes y étaient épars. Ils étaient vêtus de houppelandes sombres et numérotées à la hauteur du coeur. Le grand bec des casquettes donnait à chacun une silhouette d'oiseau de proie qui n'aurait pas d'ailes. L'atmosphère de cette cour était chargée de cent quatre-vingt révoltes intérieures.

Beaucoup sont sans famille. L'institution des Enfants assistés est une fidèle pourvoyeuse du lieu...Firmin a une tête de bandit macérée depuis dix ans dans un bocal plein de crapulerie.





Le Petit Parisien 23 avril - fac-similé Gallica intégral du journal




V - Je ne suis pas Vassili

"Je ne suis pas Vassili." Parlez. "Voilà trois ans, j'étais sur ce grand boulevard, à Marseille, je sens que l'on m'attrape par le bras. Je me retourne. C'était quelqu'un que je n'avais jamais vu. Suis-moi, dit-il, Ivan Vassili. Et il m'entraîna...Qu'est-ce que vous me voulez? C'est Ivan Vassili, un déserteur de la Légion étrangère. Je suis Constantinidis Ionès, dis-je. Constantinidis Ionés! L'homme qui m'avait arrêté s'en alla. Je ne l'ai plus revu, jamais. Tu es Ivan Vassili. Non! non! je suis Constantinidis Ionès. Je m'en f... qu'il dit : tu vas faire cinq ans de service."
"Pour moi, c'est tout pareil. Marseille, l'homme en uniforme, le fort Saint-Jean, le bateau, puis le 1er étranger On dit que je suis Danaïloff, déserteur de la Légion étrangère. Je suis Stépane Atarasoff, Bulgare."


Le Petit Parisien 24 avril - fac-similé Gallica intégral du journal



Pour échapper aux sergents, ils se "maquillent". Rassurez-vous, mesdames, il ne sagit pas là de concurrence. Ils s'inoculent des maladies, se déforment des membres, se tranchent des doigts, se brûlent les yeux. Ils s'exercent à paraître fous, à tomber en syncope, à ne pas réagir sous des odeurs piquantes. On est enragé! d'autres préfèrent la paralysie, la conjonctivite; les amateurs d'hémophtisie ont l'embarras du choix; l'érysipèle n'est pas à dédaigner, les ulcères ne sont pas mauvais non plus....


Le Petit Parisien 25 avril - fac-similé Gallica intégral du journal


VII - La séance de Tafré-Nidj

L'oeuvre des condamnés militaires n'est pas un mythe, elle est écrite sur la terre dure. L'une des bases de l'institution est le relèvement par le travail. Le travail est un fait; quant au relèvement, il se pratique, de préférence, à coups de botte. On désigne par fourbi le bon accord entre acheteurs et vendeurs de denrées. Le fourbi a pour but d'engraisser le sergent et pour résultat de dégraisser la gamelle.
Dès que l'on est entré au pénitencier, la peine cesse d'être une punition : elle devient un état de choses. Pour être un "puni" il faut supporter la double peine... Qui vous a fait cela? Je suis tombé sur un manche de pelle. Ils sont toujours tombés sur un manche de pelle... La faute principale des "délinquants militaires" est de ne pas vouloir comprendre que, dans la vie, on doit souvent renoncer à son droit.

Le Petit Parisien 26 avril - fac-similé Gallica intégral du journal



VIII - Sidi-Moussah, Foum-Tegghet et autres lieux

Il n'est pas de médecin dans les camps. Un homme est-il ou n'est-il pas malde? S'est-il maquillé? la consultation est remplacée par un dialogue invariable : "Malade, dit l'homme - je te ferai travailler bessif (de force)", répond le sergent. A Sidi-Moussah, la maladie était rayée de la vie. Dire aux sergents "je suis malade" était leur faire outrage. Alors ils ont mis l'Arabe tout nu et l'ont attaché sur les éribas. C'était l'été, cinquante-deux degrés pour le moins.


Le Petit Parisien 27 avril - fac-similé Gallica intégral du journal




IX - A El-Bordj, Sidi-Bouhalal et autres lieux


Je vais vous apprendre la fin du détenu Martin qui se prit de querelle avec le sergent T...Et le sergent T dit à son collègue "viens on va encore se débarrasser de celui-ci".

Le sergent T emmena le détenu derrière les éribas et le roua de coups si bien placés que celui-ci resta inanimé. Le sergent nous appela et dit : "remontez-le au camp". Il est mort le lendemain matin, sous le marabout, sans parler.

Moi, Pauliac, pour échapper aux châtiments, je me suis accusé d'un vol que je n'avais pas commis, un vol de deux bouteilles de vin. Et je suis allé au conseil. J'ai attrapé un an de plus, mais cela valait mieux que tant de coups de bâton.














Le Petit Parisien 28 avril - fac-similé Gallica intégral du journal






X - Le marabout des douleurs


La vie des sous-officiers de la justice militaire n'est pas folâtre, c'est entendu; les psychologistes pourraient peut-être même pousser là une étude de l'homme pris dans ce qui lui reste de profondément animal. Ces gens ne croient pas mal faire. Il en est de très inhumains qui sont de bons pères de famille.

Attends! lui disent les six sergents. Avec de la braise, 11.446 est brûlé au nez et aux talons. Quant à la fourchette qu'ils lui introduisirent dans la bouche, les avis sont partagés. Les uns disent que c'était pour l'étrangler, d'autres, pour lui arracher des dents...












Le Petit Parisien 29 avril - fac-similé Gallica intégral du journal


Tasfilalet n'est pas une ville, ce n'est pas un village. Ce n'est rien du tout, c'est Tasfilalet. C'est un bordj qu'un jour les joyeux firent de leurs mains, comme on plante un drapeau dans la glace quand on a découvert le Pôle Sud.
Voilà le couvent des vingt-huit joyeux. Ce sont des souteneurs, des flibustiers, des cambrioleurs. Cela fait tout de même une confrérie. Joyeux, fais ton fourbi. Pas vu, pas pris. Mais vu, rousti. Ce sont des veileurs. Plutôt, c'est ce qu'ils devraient être. Ils s'endorment en poste. Ils ne s'endorment pas par surprise, mais par protestation.

Le Petit Parisien 1 mai - fac-similé Gallica intégral du journal



XII - La lamentable histoire de Roger X... matricule 11.407
Pour racheter son passé


Les puces vivaient en bataillons serrés sous les marabouts. Vous déplaciez les tentes? Les puces suivaient. Vous désinfectiez? Elles quittaient le marabout, attendaient la fin de l'opération, reprenaient des forces au soleil, et, le soir, rentraient se coucher avec les hommes.

Deux ans, cinq ans, cela tombe des conseils de guerre aussi facilement qu'un coup de pied dans le derrière d'un chien muselé. Pour la même faute, dans un cas identique, un conseil donnera un an, l'autre deux ans, un troisième cinq ans. C'est au petit bonheur. On dirait qu'ils distribuent des prospectus.



Le Petit Parisien 3 mai - fac-similé Gallica intégral du journal


Le "caïd" est l'homme qui impose sa loi à ses camarades. Quand le sergent se couche, le caïd se lève. Ainsi la peine des camarades ne chôme pas. Il y a des caïds aux bataillons d'Afrique, aux sections spéciales, aux pénitenciers. Le nombre de leurs sujets est variable.

Quand un "caïd" perd de son prestige, son peuple petit à petit, passe sous le joug d'un plus fort.


Un monstre
article ajouté dans l'édition en livre

Il était court, genre nabot. Faugibier fait partie de ces monstres qui composent le fond des bagnes. Ce n'est pas une forte tête, c'est un idiot malsain. Si Faugibier trébuche, c'est qu'il n'a pas la moindre lumière dans l'esprit. Faugibier avait tout d'une gargouille de cathédrale.

Les joyeux au pays des tentes noires
article ajouté dans l'édition en livre



Le Petit Parisien 4 mai - fac-similé Gallica intégral du journal


"Je ne vois plus cela du même oeil que les jeunes. Ma vie est là. J'ai appris à manoeuvrer dans un camp; ailleurs, je serai emprunté. Que voulez-vous que j'aille faire dans le civil par exemple? Le pénitencier et moi cela ne fait plus qu'un. Il ne me reste que trois ans. A ma sortie, et, la chose est probable, si la légion ne veut pas de moi, je ne sais ce que je deviendrai. A de vieux détenus de mon espèce, on devrait réserver une situation dans les pénitenciers même."

Le Gobelin vivant. Faucher Edmond était plutôt un vieux tableau qu'un vieux cheval. Il ne dit pas son nom mais ceci : l'homme le plus tatoué du monde. De la racine des cheveux à la plante des pieds. Cherchez un coin de ma peau qui n'ait pas son paysage. Le motif central (le tatouage du dos) demanda deux ans et sept mois de travail. Remarquez la chevelure de la femme. Mais j'avais mon but. Une baraque, une Espagnole à la caisse pour recevoir les pesetas, moi à l'intérieur, la fortune arrivait... Moi, dit Faucher en riant, quand je suis tout nu, je suis encore bien habillé.

Monsieur le curé. Ces jours derniers un prêtre passa par les rues d'Orléansville. Il était ganté...il prit une calèche, le train était en retard, le saint homme sortit son livre pieux. Il gagne le port, le bateau, le large. Le lendemain le pénitencier faisait savoir que le détenu Gerber s'était évadé. Son signalement : deux doigts coupés... Dix jours plus tard, le capitaine trouva cette lettre : "au nom du Père, du Fils, du Saint-Esprit, ainsi soit-il. Mon très cher frère, j'ai mis les bouts de bois..." Le soir de la réception, un homme s'écria :"enfin, je sais où sont mon vieux chapeau, ma vieille soutane et mes vieux souliers" C'était le vrai curé d'Orléansville.

Le Petit Parisien 5 mai - fac-similé Gallica intégral du journal
























Le Petit Parisien 6 mai - fac-similé Gallica intégral du journal



Le Petit Parisien 7 mai - fac-similé Gallica intégral du journal



Quelques plaisanteries de la gande Marcelle
article ajouté dans l'édition en livre


Le Petit Parisien 8 mai - fac-similé Gallica intégral du journal


La haine est le visage des pénitenciers. Au bagne, le masque est de misère, ici, de colère sourde. Il est des sociétés de préparation militaire, les pénitenciers d'Afique sont des sociétés de préparation antimilitaire. Il fait haineux dans les pénitenciers comme il fait chaud dans une serre. Les chaouchs ont une psychologie de lapin domestique. Ils inoculent la rage et, quand le sujet mord, ils l'appellent traître!
A la prison d'Alger, dans un de ces souterrains...il était défraîchi comme un vieux lacet de soulier qui n'a pas de très haut dominé la boue. C'était pour guérir ses rhumatismes qu'on l'avait mis trente pieds sous terre, sans doute. C'était un "intellectuel". On pouvait lui donner cinquante-cinq ans d'un homme fini. J'ai trente-six ans, dit-il. Il était là pour désertion. J'aurai fini dans six mois, dit-il, je suis écrivain, je dirai tout cela... On nous a enfoncé une haine éternelle. Avec l'une de ses béquilles, il frappa la dalle de sa cage. Ce geste fit visiblement souffrir le paralytique. Une haine, monsieur l'agent principal, plus forte que ma douleur.


Le Petit Parisien 9 mai - fac-similé Gallica intégral du journal


Ce ne sont pas des joyeux. Ce ne sont pas davantage d'ex-joyeux. Ce ne sont pas non plus des pègres. Ce sont des "exclus". Etre exclu n'est pas une peine, c'est la conséquence d'une peine. L'exclu a payé sa dette à la société. Il paie maintenant sa dette à la patrie. Aux exclus on rencotre l'homme qui, avant son service militaire, fut condamné par une cour d'assises. Il fait son temps de réclusion et, quand on le libère, l'exclu gagne Mers-el-Kébir.
Il ne portera pas d'arme, mais, en revanche, toutes sortes d'instruments à manche. Aujourd'hui on sert dix-huit mois; il servira dix-huit mois.

Nous voulons aller à la Guyane
article ajouté dans l'édition en livre

Maison-Carrée, près d'Alger. Là, dans une prison, les condamnés aux travaux forcés attendent le bateau qui les transportera en Guyane. Ces condamnés sortent des pénitenciers militaires. "Quand ces hommes arrivent des travaux publics, je vois sur leur dossier : très dangereux, à surveiller de près. Ils franchissent ma porte. Ce sont des agneaux." A quoi cela tient-il? L'amour de prisons civiles est professé par tous les détenus militaires.
Le directeur dit : Ces hommes ne sont plus des détenus, ils ont fini leur peine, ce sont des relégués. Mais les relégués militaires ne vont pas à la Guyane. Alors, comme on a oublié de leur fixer une autre résidence, on les retient sous les verrous. On les garde en prison parce que l'on ne sait pas quoi en faire.
Ici sont les heureux, "ceux qui vont partir pour la Guyane". Ils se jetaient, par dégoût, dans le trou de la Guyane.

Fin
article ajouté dans l'édition en livre
En quel endroit de la terre règnent encore de semblables tyrans? ce ne sont pas des tyrans, ce sont des sergents.

Le Petit Parisien 10 mai - fac-similé Gallica intégral du journal


Conclusions
article non repris dans l'édition en livre


Le résultat de l'oeuvre des pénitenciaires est inefficace et plein de honte. Biribi doit disparaître. On peut entendre la chose de deux façons :

1° Faire de Biribi ce que le livre 57 voudrait qu'il fût.

2° Supprimer l'institution.





Le Petit Parisien 9 septembre - fac-similé Gallica intégral du journal


Biribi n'est pas mort








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